Après la publication de l'ouvrage collectif en français, L'hôpital et la profession infirmière, Une comparaison France-Japon (Arslan, Nov. 2008), Philippe a écrit un article sur Libération. Voir Liberation.fr 08/01/2009.
Veuillez trouver ci-dessous l'article de Philippe "L’hôpital français et ses démons" sur Liberation 08/01/2009.
Après la publication de l'ouvrage collectif en français, L'hôpital et la profession infirmière, Une comparaison France-Japon (Arslan, Nov. 2008), Philippe a écrit un article sur Libération. Voir Liberation.fr 08/01/2009.
Veuillez trouver ci-dessous l'article de Philippe "L’hôpital français et ses démons" sur Liberation 08/01/2009.
L’hôpital français et ses démons
Une nouvelle fois l’hôpital français se retrouve face à ses démons. Quels que soient les drames, les crises, les réformes, les intentions, les déficits, les mêmes questions et les mêmes réponses resurgissent. Deux exemples. Question : les services d’urgence bénéficient-ils de trop ou de pas assez de moyens ? Réponse attendue : pas assez si on considère que les urgences sont saturées, trop si on admet que leur usage est dévoyé. Question : l’hôpital public souffre-t-il d’un trop plein de contrôle ou de l’impuissance de l’administration à le réguler ? Réponse convenue : trop de contrôle si l’on considère l’emprise croissante des contraintes administratives et réglementaires, pas assez si l’on observe les résultats (maintien, ici ou là, d’établissements inefficients et d’activité inefficaces).
Si les questions sont formulées différemment selon les époques, le sens de l’interrogation est le même depuis les années 1970. Cette constance n’est pas étonnante. En effet, au-delà de son apparence polémique elle trahit un accord sur ce qui ferait vraiment problème : l’invasion de l’hôpital par les valeurs, les méthodes, les objectifs de l’économie. Puis-je, en ces temps de défiance envers cette discipline, soutenir que, sous certaines conditions, l’économie de l’hôpital n’est pas le problème mais une solution ?
Sous certaines conditions, car il faut d’abord identifier les principales caractéristiques de l’hôpital. Il faut accepter qu’il ne soit plus l’institution charitable qu’il fut et, dans le même temps, soutenir qu’il n’est pas et ne sera jamais une entreprise rentable. Il faut aussi admettre que l’hôpital soit à la fois dangereux et protecteur, centre d’expertise scientifique et lieu de vie, fermé sur lui-même et ouvert à la société. Reconnaître ces ambivalences, voilà le prérequis.
Il s’agit ensuite de penser l’économie de l’hôpital, en essayant de faire de cette complexité un atout.
Ainsi, vouloir imposer à tous les hôpitaux publics et à toutes les cliniques privées le même mode de financement basé sur une tarification à l’activité («la T2A à 100 %») est une erreur. Non pas tant parce la T2A consacrerait l’entrée du loup libéral dans la bergerie du «service public à la française», mais plutôt parce qu’elle reviendrait à plaquer un mode unique d’incitation économique sur des situations qui sont, et doivent rester, diversifiées.
Il convient donc de faciliter, d’organiser la diversité des ressources (forfait, à l’acte, paiement à la journée, subvention, etc.). D’un côté, l’hôpital gagnera en souplesse et en efficience, de l’autre, il pourra en toute responsabilité rendre des comptes à sa tutelle.
De même, l’ouverture de l’hôpital sur son environnement n’a de sens que si le dit environnement est lui-même prêt à s’ouvrir à l’hôpital. Certes, grâce notamment à la polysémie du terme, le territoire est aujourd’hui promu au rang de valeur universelle. Mais, lorsque les objectifs de santé publique sont en jeu (analyse des besoins de santé, qualité des soins, égalité d’accès aux services…), le territoire peut constituer une entrave ou une opportunité. En effet, chaque territoire possède son histoire et peut avoir construit des rentes de situations qu’une économie politique de l’hôpital se devrait de combattre.
Face à ces enjeux, le contrat (entre services d’un même hôpital, entre partenaires au sein de réseaux de soins de plus en plus complexes, entre l’hôpital et l’agence régionale, entre chaque agence et le ministère) est présenté comme la panacée. La future loi «hôpital, patients, santé et territoires» en fait sa clef de voûte. Mais, au plan économique comme au plan juridique, le contrat est un outil acceptable si et seulement si les contractants sont libres et égaux. Condition rarement remplie, convenons-en. En matière de gouvernance, l’idée serait donc de pouvoir jouer sur une palette plus large que le seul contrat ; elle pourrait s’étendre de la contrainte (par exemple, lorsqu’il s’agit de coordonner les soins ou de fermer des structures) à la liberté d’action la plus grande (par exemple, pour favoriser les partenariats public-privé dans le but de canaliser une concurrence délétère).
Du côté des modes de prises en charge et des professionnels eux-mêmes, la diversité aussi doit être au centre de la modernisation. Aujourd’hui, la vision comptable comme les pratiques médicales et paramédicales, tendent à considérer le raccourcissement des durées de séjour comme le parangon de la performance. Or, cet objectif, appliqué uniformément à tous les établissements, a d’autant plus d’effets pervers que les maladies sont de plus en plus souvent chroniques : hospitalisations itératives, retours prématurés au domicile, déshumanisation des soins, conditions de travail dégradées… C’est pourquoi, cette exigence, typique des systèmes de soins développés occidentaux, n’est ni naturelle ni incontournable. Ainsi au Japon, les durées de séjours sont significativement plus longues : l’hospitalisation n’y a pas le même sens, notamment parce que les soins relationnels et les tâches «domestiques» sont considérés comme constitutifs des prises en charge médicalisées. En France, rôles propres et logiques professionnelles contribuent à organiser formellement tous les services sur le seul mode du «flux tendu». Mais, dans la réalité, les textes trop rigides ne sont pas respectés ; les tâches glissent et les compétences évoluent. Les divisions du travail (entre professionnels à l’hôpital comme en ville) doivent donc pouvoir évoluer aussi en tenant compte des différences selon les spécialités, l’offre de soins locale, les besoins des populations desservies, etc. Pour être mis en œuvre ces différents principes demandent que plus de place soit laissée à l’expérimentation et que les innovateurs soient encouragés. Le prix à payer ne se chiffre pas en euros : il s’agit de troquer un peu d’égalité de façade contre une once de démocratie située.
Si les questions sont formulées différemment selon les époques, le sens de l’interrogation est le même depuis les années 1970. Cette constance n’est pas étonnante. En effet, au-delà de son apparence polémique elle trahit un accord sur ce qui ferait vraiment problème : l’invasion de l’hôpital par les valeurs, les méthodes, les objectifs de l’économie. Puis-je, en ces temps de défiance envers cette discipline, soutenir que, sous certaines conditions, l’économie de l’hôpital n’est pas le problème mais une solution ?
Sous certaines conditions, car il faut d’abord identifier les principales caractéristiques de l’hôpital. Il faut accepter qu’il ne soit plus l’institution charitable qu’il fut et, dans le même temps, soutenir qu’il n’est pas et ne sera jamais une entreprise rentable. Il faut aussi admettre que l’hôpital soit à la fois dangereux et protecteur, centre d’expertise scientifique et lieu de vie, fermé sur lui-même et ouvert à la société. Reconnaître ces ambivalences, voilà le prérequis.
Il s’agit ensuite de penser l’économie de l’hôpital, en essayant de faire de cette complexité un atout.
Ainsi, vouloir imposer à tous les hôpitaux publics et à toutes les cliniques privées le même mode de financement basé sur une tarification à l’activité («la T2A à 100 %») est une erreur. Non pas tant parce la T2A consacrerait l’entrée du loup libéral dans la bergerie du «service public à la française», mais plutôt parce qu’elle reviendrait à plaquer un mode unique d’incitation économique sur des situations qui sont, et doivent rester, diversifiées.
Il convient donc de faciliter, d’organiser la diversité des ressources (forfait, à l’acte, paiement à la journée, subvention, etc.). D’un côté, l’hôpital gagnera en souplesse et en efficience, de l’autre, il pourra en toute responsabilité rendre des comptes à sa tutelle.
De même, l’ouverture de l’hôpital sur son environnement n’a de sens que si le dit environnement est lui-même prêt à s’ouvrir à l’hôpital. Certes, grâce notamment à la polysémie du terme, le territoire est aujourd’hui promu au rang de valeur universelle. Mais, lorsque les objectifs de santé publique sont en jeu (analyse des besoins de santé, qualité des soins, égalité d’accès aux services…), le territoire peut constituer une entrave ou une opportunité. En effet, chaque territoire possède son histoire et peut avoir construit des rentes de situations qu’une économie politique de l’hôpital se devrait de combattre.
A LILY BY THE ROADSIDE |
Face à ces enjeux, le contrat (entre services d’un même hôpital, entre partenaires au sein de réseaux de soins de plus en plus complexes, entre l’hôpital et l’agence régionale, entre chaque agence et le ministère) est présenté comme la panacée. La future loi «hôpital, patients, santé et territoires» en fait sa clef de voûte. Mais, au plan économique comme au plan juridique, le contrat est un outil acceptable si et seulement si les contractants sont libres et égaux. Condition rarement remplie, convenons-en. En matière de gouvernance, l’idée serait donc de pouvoir jouer sur une palette plus large que le seul contrat ; elle pourrait s’étendre de la contrainte (par exemple, lorsqu’il s’agit de coordonner les soins ou de fermer des structures) à la liberté d’action la plus grande (par exemple, pour favoriser les partenariats public-privé dans le but de canaliser une concurrence délétère).
Du côté des modes de prises en charge et des professionnels eux-mêmes, la diversité aussi doit être au centre de la modernisation. Aujourd’hui, la vision comptable comme les pratiques médicales et paramédicales, tendent à considérer le raccourcissement des durées de séjour comme le parangon de la performance. Or, cet objectif, appliqué uniformément à tous les établissements, a d’autant plus d’effets pervers que les maladies sont de plus en plus souvent chroniques : hospitalisations itératives, retours prématurés au domicile, déshumanisation des soins, conditions de travail dégradées… C’est pourquoi, cette exigence, typique des systèmes de soins développés occidentaux, n’est ni naturelle ni incontournable. Ainsi au Japon, les durées de séjours sont significativement plus longues : l’hospitalisation n’y a pas le même sens, notamment parce que les soins relationnels et les tâches «domestiques» sont considérés comme constitutifs des prises en charge médicalisées. En France, rôles propres et logiques professionnelles contribuent à organiser formellement tous les services sur le seul mode du «flux tendu». Mais, dans la réalité, les textes trop rigides ne sont pas respectés ; les tâches glissent et les compétences évoluent. Les divisions du travail (entre professionnels à l’hôpital comme en ville) doivent donc pouvoir évoluer aussi en tenant compte des différences selon les spécialités, l’offre de soins locale, les besoins des populations desservies, etc. Pour être mis en œuvre ces différents principes demandent que plus de place soit laissée à l’expérimentation et que les innovateurs soient encouragés. Le prix à payer ne se chiffre pas en euros : il s’agit de troquer un peu d’égalité de façade contre une once de démocratie située.
Dernier ouvrage paru : l’Hôpital et la profession infirmière, une comparaison France Japon, avec Maryse Boulongne-Garcin, Toshiko Ibe, Tetsu Harayama, éd. Seli Arslan, décembre 2008.